Chefs d’entreprise : anticipez les coups durs

01/06/2023 - source : Investissement Conseils

Arrêt de travail prolongé, invalidité, décès, les accidents de la vie frappent aussi les dirigeants. Avec des conséquences lourdes pour leur entreprise comme pour leur famille. Une bonne protection passera par une mise à plat des enjeux et le recours à des outils, notamment assurantiels, adéquats. Le rôle des conseillers sera primordial.

Chefs 01Comment aborder la protection du chef d’entreprise ? Méconnaissance et frein psychologique (on élude les questions d’invalidité et de décès) laissent encore trop souvent cette question, tant au niveau professionnel que privé, au milieu du gué.«En parler, c’est d’abord rappeler certains faits, insiste Sonia Elmlinger, directrice générale de SocialCare Consulting et de Lilycare.fr, cabinet spécialisé en protection sociale. Qu’un décès sur cinq se produit avant soixante-cinq ans en France. Qu’un tiers des entreprises disparaissent suite à l’indisponibilité temporaire ou définitive de son dirigeant. Que sur les trois millions d’indépendants en France, moins de la moitié est aujourd’hui couverte par un contrat de prévoyance. Or même si les situations sont variables selon les régimes obligatoires, la couverture financière contre les gros coups durs de la vie est pour les dirigeants insuffisante. Dès lors, sans dispositions prises par le chef d’entreprise, ses patrimoines professionnel mais aussi personnel seront fortement mis à mal en cas de décès, d’invalidité ou pour un arrêt de travail long. Partant, de là, il faut commencer par se poser les bonnes questions. Quelles prestations sont prévues dans mon régime obligatoire, par exemple sur les indemnités journalières pour les indépendants ? Quel capital sera versé à ma famille si je venais à décéder ? Vu le nombre de régimes, il est compliqué d’obtenir des réponses claires, d’où l’importance de se faire conseiller. Ensuite, il faut apporter des solutions au chef d’entreprise. Attention, ce sujet est technique avec de nombreux paramètres à prendre en compte pour formuler des propositions d’assurance, que sont la situation familiale, le régime dont on relève, les besoins exprimés, les charges fixes de l’entreprise, le fait de travailler seul ou avec un associé, ses risques de santé, les éventuels contrats d’assurance déjà souscrits, etc. Un véritable audit mené par le conseiller est nécessaire.»Le cadre est posé, avec ses nombreuses questions déjà en suspens. Et les solutions qui pointent. Pas si vite ! Citons d’abord une règle d’or en la matière:anticiper pour pouvoir gérer l’imprévu. Ce qu’explique Stéphane Absolu, directeur associé du cabinet Pyxis Conseil, qui pilote des transmissions-cessions d’entreprises, «il faut bien distinguer les enjeux des solutions. Pour un chef d’entreprise, l’enjeu est toujours le même:que va-t-il se passer si mon histoire s’arrête ? La règle d’or est d’anticiper une telle situation. Mais pour un chef d’entreprise, qui a tellement de décisions à prendre, penser à sa propre personne n’est pas prioritaire. Disons même qu’il n’y pense même pas du tout le plus souvent. C’est pourquoi le premier enjeu est de créer ce questionnement. Il faut le faire réfléchir aux conséquences d’un gros coup dur, tant pour sa vie privée que professionnelle. Il s’agira de prendre un peu de hauteur. Et de savoir que ne rien faire, c’est pire. Cette question concerne tout un chacun, mais l’enjeu patrimonial est vraiment plus important pour le dirigeant. Son entreprise est vivante, elle ne doit pas s’éteindre en cas de survenance d’un aléa. Il faut donc anticiper la suite pour l’entreprise, ce qui est encore plus vrai pour les PME, son chef étant au centre du réacteur.»Lever les confusions Avant d’en venir aux solutions, il faut toutefois s’attacher à tordre le cou à certaines idées reçues. Dans l’imaginaire collectif, la protection sociale est globalement du ressort de l’Etat, qui pourvoit à l’essentiel. Que couvre-t-elle vraiment ? Force est de constater que ce sera largement insuffisant, notamment pour les travailleurs non-salariés (TNS), pour faire face à un gros coup dur (voir cas pratiques). Il faut aussi redonner du sens aux mots pour ne pas se tromper de périmètre d’analyse. «Au niveau des couvertures, les ordres de priorité ne sont pas les bons chez les ménages, analyse Bruno Chrétien, président de l’Institut de la protection sociale (IPS). On se couvre d’abord sur la santé, qui n’est pas de l’assurance mais de la gestion de trésorerie, puis les indemnités journalières et le décès, enfin sur l’invalidité et la dépendance. Or les régimes obligatoires laissent des vides de garantie importants sur l’invalidité, la dépendance et le décès.»Revenons plus en détail sur les TNS avec Amandine Rebecq, responsable marketing chez Alptis: «Les personnes à leur compte n’ont pas la même protection sociale que les salariés, ils sont rattachés à de multiples régimes dont les prestations pour décès, invalidité, arrêt de travail sont très variables, mais très souvent insuffisantes. D’où ce besoin de compléter sa protection sociale par une assurance. Mais il faut d’abord revenir à des choses simples. Ce qui commence par lever des confusions entre la complémentaire santé et les contrats de prévoyance. La première prend en charge des frais liés aux soins de santé:frais d’hospitalisation, consultations médicales, soins dentaires… La prévoyance intervient sur des risques dits lourds, de l’arrêt de travail qui dure au décès en passant par l’invalidité définitive, dont les conséquences financières sont beaucoup plus importantes. Ensuite, il faut avoir une approche globale du risque, c’est-à-dire à la fois les conséquences financières sur l’activité de l’entreprise en cas de sinistre et celles sur sa vie familiale privée. C’est complexe de s’y retrouver seul, d’où l’importance de pouvoir échanger avec un courtier et bénéficier de ses conseils.» Cette mise au point effectuée, le TNS ou chef d’entreprise salarié y verra sans doute plus clair sur les enjeux de sa protection. Sur sa nécessité, par ricochet. Reste à bien définir ce qu’elle doit in fine recouvrir pour ne pas rater la cible. «Pour aborder la protection du chef d’entreprise, il faut partir du fait que ce dernier revêt plusieurs dimensions dans son activité, souligne Théodore Hedengren, cofondateur de Thesia, plateforme grossiste en prévoyance individuelle depuis 2019. Il perçoit un revenu de son travail. Il est aussi responsable opérationnel d’une activité collective. Souvent, il est associé au capital de la personne morale. Enfin, il est l’interlocuteur des banquiers et investisseurs. Pour chacune de ces dimensions, il existe une protection particulière. La prévoyance va apporter une réponse économique, financière, complétant les dispositifs juridiques existants. Elle ne résout pas tout, mais est essentielle. Elle répond à des problématiques de passif, visant à éviter une réduction du patrimoine. Il faut avoir conscience de l’existence de ces solutions, de leur intérêt fiscal aussi.»Chefs 02Avant de parler assurance…Venons-en donc aux solutions pour «protéger»les chefs d’entreprise. Les contrats d’assurance y tiennent, bien sûr, la corde. Une erreur pour certains spécialistes, qui piochent dans une boîte à outils bien plus large pour répondre à cette problématique.Ce qu’illustre Stéphane Absolu:«les situations sont bien sûr différentes selon les statuts. S’agit-il d’un entrepreneur individuel ? D’un entrepreneur individuel soumis à l’impôt sur les sociétés (IS) ? D’un gérant de Sarl ? Selon les cas, les outils de protection utilisés ne seront pas les mêmes. Dès l’origine, vous avez des enjeux juridiques importants. La rédaction des statuts de l’entreprise, les clauses de répartition des pouvoirs dans le pacte d’associés sont des éléments clés. Sur la transmission d’une entreprise, l’utilisation du pacte Dutreil sera très intéressante, son étude est incontournable et permettra souvent d’éviter des droits de succession très élevés. Il faut aussi penser aux mandats de protection future et ceux à effet posthume. Le premier permet de couvrir le risque d’incapacité, pour éviter une gestion par le juge des tutelles en nommant un mandataire qui aura de nombreux pouvoirs. En somme, vous choisissez le pilote de l’entreprise s’il vous arrive malheur. Cette disposition est assez méconnue, alors que sa mise en place par acte notarié est peu coûteuse. Le mandat à effet posthume se met, lui, en marche au décès, avec un mandataire qui administre la succession. C’est particulièrement intéressant pour de jeunes dirigeants qui ont des enfants mineurs et veulent protéger leur famille. Le mandataire sera alors mieux placé pour négocier la vente éventuelle de l’entreprise. Ces sujets sont techniques:être épaulé par un vrai spécialiste est nécessaire.» Il faut donc savoir utiliser au mieux les dispositifs juridiques disponibles, mais aussi éventuellement adapter le statut et le régime matrimonial du dirigeant. Doivent aussi être envisagés les donations antérieures et leurs impacts en matière de réserve héréditaire, ainsi que les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie. Autre problématique:la constitution d’une société pour l’exercice d’une profession va diviser le patrimoine professionnel du privé du chef d’entreprise. Ainsi, ce dernier reste hors de leur portée des créanciers professionnels bien au-delà de la seule habitation principale. L’entreprise en société est à ce titre un dispositif protégeant davantage l’entrepreneur des risques financiers de son affaire.Les outils sont donc nombreux, encore faut-il les connaître et en avoir la pleine maîtrise. «Pour protéger le chef d’entreprise, on dispose d’une boîte à outils, composée de dispositifs juridiques, de statuts modifiables, de donations et testaments, de contrats d’assurance avec la possibilité d’optimiser les clauses bénéficiaires, complète Stéphane Absolu.Il faut savoir croiser les solutions, par exemple un mandat à effet posthume avec une assurance homme-clé, cela se décide au cas par cas. Ce travail de protection est à la croisée de plusieurs matières. Mais ne nous méprenons pas, l’assurance n’est sûrement pas la solution à tout. Du reste, avant d’opter pour une solution d’assurance, il faut toutefois se poser la question réflexe:le risque financier est-il présent en cas d’aléa ?» C’est à vrai dire la question clé pour justifier le recours à une assurance.

L’assurance, pierre angulaire de la protectionFace aux gros coups durs, avec impact financier très lourd, l’assurance prend évidemment toute sa place. Mais de quoi parle-t-on au juste ? «Les solutions de prévoyance individuelle ont pour finalité de protéger les revenus et le patrimoine personnel et professionnel de l’assuré, du dirigeant, explique Théodore Hedengren. Protéger contre quoi ? Contre les aléas et risques lourds de l’existence, qu’est l’arrêt de travail prolongé, c’està-dire l’incapacité, l’invalidité et le décès. Pour protéger ses revenus, c’est assez simple. Il suffit de souscrire une assurance couvrant la situation l’arrêt de travail et l’invalidité. Des indemnités journalières seront alors versées, une rente en cas d’invalidité. Ce contrat est à la base de la protection du chef d’entreprise, notamment le TNS.»La contrepartie d’une assurance-prévoyance est que la garantie est limitée dans le temps (souvent quatre-vingtcinq ans) et que les primes sont versées à fonds perdu. «Protéger ses revenus passe par le recours à l’assurance, confirme Sonia Elmlinger. Le coût n’est pas une objection sur ce marché, d’autant que les TNS bénéficient du régime fiscal Madelin pour déduire les cotisations de leur revenu imposable sous certains plafonds. Le travail du courtier est de rechercher les assureurs qui répondent aux besoins de son client, en tenant compte des exclusions, et en évaluant le rapport qualité/prix.»Reste à se confronter à la réalité du terrain. «La prévoyance n’est pas un produit qui s’achète, mais qui se vend, constate Werner Le Bon, directeur du développement prévoyance chez Digital Insure. Aucune réglementation n’impose de souscrire une assurance-prévoyance. Les chefs d’entreprise ont globalement une mauvaise connaissance des garanties auxquelles ils auraient droit en cas de problème grave et ont tendance à sous-estimer le risque de décès, d’invalidité ou d’arrêt de travail. Le conseil d’un professionnel est indispensable pour faire le lien. Le chef d’entreprise a besoin d’une relation de confiance et doit avoir affaire à un professionnel qui sache l’orienter.»Notons ici le cas spécifique du dirigeant salarié, qui peut choisir soit d’adhérer à la prévoyance collective de son entreprise (moins coûteux, déduction des cotisations), soit de souscrire à un contrat de prévoyance individuel (couverture plus personnalisée), les deux pouvant se compléter. Par ailleurs, au-delà de se protéger lui et sa famille, il existe des contrats et garanties spécifiques permettant de protéger l’entreprise et la pérennité de son activité. «Le chef d’entreprise est aussi un contributeur net à l’activité de son entreprise, illustre Théodore Hedengren. Le contrat homme-clé est une réponse adaptée pour sécuriser le compte de résultat, qui sera affecté par l’indisponibilité du dirigeant, et donc pérenniser l’activité de l’entreprise. L’assuré du contrat est bien le chef d’entreprise, mais le souscripteur est la personne morale, qui est destinataire des capitaux en cas de sinistre.»Dans le maquis des contratsA l’instar du marché de l’assurance-vie, versant épargne, celui de la prévoyance est aujourd’hui inondé de contrats divers et variés. Comment faire le tri ? «Pour souscrire le bon contrat, le rôle du cour-tier est essentiel, analyse Amandine Rebecq. Lui va savoir lire les garanties et se poser les bonnes questions. Comment fonctionne le contrat ? Ses prestations sont-elles calculées sous déduction du régime obligatoire ou par un montant forfaitaire ? Qu’est-ce qui entre dans les revenus couverts ? Les dividendes sontils inclus ? Quelles sont les franchises sur un arrêt de travail ? Les délais de carence ? Les exclusions ? Quid des formalités médicales ? De la prise en charge des risques aggravés ? Autant de questions dont les réponses vont différencier les contrats entre eux. Le tarif est bien sûr un élément important, mais il n’est pas décisif. Il faut aussi voir les prestations de services proposées en parallèle. Chez Alptis, nous proposons, par exemple, des ateliers de prévention-santé pour accompagner les indépendants.»Cet éclairage revient chez la plupart des professionnels, y compris chez les CGP qui ont pris en main ce sujet. «Un bon contrat de prévoyance est un contrat qui lève tous les doutes, avance Alexis Teillant, cogérant du cabinet Axe Conseils Patrimoine, lauréat du prix de l’Initiative 2022 sur le thème de la sécurisation de l’activité du CGP. Sa lecture ne doit pas laisser place à l’interprétation. Le tarif n’est pas tout, loin de là. Il faut se pencher sur certains points, par exemple la définition de l’invalidité retenue par l’assureur:est-ce l’impossibilité d’exercer toute profession ou uniquement la profession que vous exerciez avant le sinistre ? On va aussi s’intéresser aux formalités médicales, souvent pesantes pour le chef d’entreprise. Qu’exige l’assureur sur ce point ? Quelle est son expertise sur les risques dits aggravés ?»Cette question est au coeur des préoccupations des courtiers grossistes qui s’attachent à bâtir des offres adéquates.En matière d’assurance, c’est toutefois bien connu, le diable est souvent dans les détails. C’est pourquoi on ne manquera pas de toujours décrypter les garanties proposées. Ce que souligne Werner Le Bon:«La qualité du contrat d’assurance est déterminante. Il faut se pencher sur son contenu pour savoir de quoi il retourne. Quelles exclusions sont prévues au contrat ? Quelles options sont proposées ? Comment les garanties sont-elles définies ? Il faut être particulièrement attentif aux clauses liées, par exemple aux affections psychologiques et aux douleurs du dos. Un bon contrat les prendra en compte spécifiquement. La question des sports à risques est importante:sont-ils d’office exclus ou peuvent-ils être inclus en option ? Il faut aussi regarder comment est définie l’invalidité professionnelle. Beaucoup de contrats prévoient un taux moyen d’invalidité, qui n’est pas forcément compatible avec la réalité. Si un chirurgien-dentiste se blesse le doigt, son invalidité fonctionnelle sera estimée comme faible, alors qu’en réalité, elle lui interdit toute activité professionnelle ! Que propose l’assureur sur ce point clé ? Il faut toujours traduire les couvertures dans un langage concret, c’est aussi le rôle du courtier et nous sommes à ses côtés pour l’y aider et l’accompagner. La rédaction d’un bon contrat s’appuie aussi sur les remontées du terrain. C’est pourquoi notre dernier contrat à destination des TNS (DigiPrévTNS, ndlr) a été conçu avec un groupe de dix-huit courtiers spécialistes des TNS et membres du club Les experts TNS de Digital Insure pour en faire un produit en adéquation avec leurs besoins et ceux de leurs clients. Les services associés au produit sont aussi très importants. Reste le prix. Pour les chefs d’entreprise, le tarif n’est pas l’élément déterminant, sauf pour les TNS qui démarrent leur activité. Une fois qu’il a intégré les enjeux et s’il est bien conseillé, le chef d’entreprise va comprendre qu’il doit être bien protégé.»Dont acte.

Le rôle clé du conseillerReste à convaincre les professionnels, courtiers comme CGP, des enjeux de ce marché. Pour Delphine Sibony, directrice générale de Nevidis, filiale du groupe DLPK, «le chef d’entreprise n’est pas sensibilisé à cette problématique dont il ignore les solutions. C’est donc bien le rôle de son conseiller de les lui présenter. C’est ainsi la responsabilité de ce dernier de connaître ces solutions et de les intégrer au conseil donné. Force est de constater que bien souvent, la prévoyance reste encore une activité accessoire au métier principal du conseil. S’il est vrai que cette activité n’apporte pas une rentabilité immédiate à laquelle est habitué le conseiller, c’est une activité qui s’inscrit dans la durée, avec du volume à la clé. La prévoyance garantit un revenu récurrent au fil des années, elle fidélise le client et est un véritable outil de différenciation. Autre point important pour le conseiller:les contrats de prévoyance permettent de recontacter le client régulièrement, puisqu’il faut faire évoluer les garanties dans le temps. De quoi relancer avec pertinence son client ! Notre rôle chez Nevidis est de prendre le relais du conseiller dès lors qu’il a détecté le besoin chez un client et lui a montré la valeur ajoutée des solutions assurantielles. Grâce à nos services digitaux et non digitaux (comme le service de conciergerie médicale), nous accompagnons le client pour la réalisation de l’ensemble des formalités pour aller au bout du processus de souscription et, sauf cas particuliers, le conseiller n’a plus à intervenir.»Ce que proposent d’autres courtiers-grossistes, comme Digital Insure ou Thesia.Pour les courtiers et les CGP, s’entourer de partenaires experts est sans doute indispensable. Le sujet est aride, chacun en convient. «La prévoyance reste un domaine technique, confirme Werner Le Bon. Les régimes obligatoires des TNS sont nombreux et nécessitent une connaissance approfondie du sujet par les courtiers. Ils sont de plus en plus nombreux à prendre ce sujet à bras-le-corps, en témoigne notre dernier webinaire sur ce thème qui a réuni huit-cent-soixante personnes. Nos outils digitaux sont là pour rendre le process plus simple et les guider à finaliser les dossiers.»Après, au courtier de tirer la pelote ! «La prévoyance, c’est un revenu complémentaire en période de crise pour le courtier et aussi une commission récurrente, qui donne de la valeur à son cabinet. C’est une diversification utile et un service primordial dans son activité de conseil qui valorise son travail. Enfin, ce sont des contrats qu’il faut revoir régulièrement, nécessairement tous les ans, en fonction de l’évolution de la situation des assurés:l’occasion pour le courtier de garder un lien fort avec les clients qu’il suit. Les raisons d’investir ce marché sont multiples pour lui. C’est aussi son devoir de conseil qui est en jeu !» La prévoyance et le devoir de conseilPour autant, le rôle des conseillers en gestion de patrimoine est ici primordial. Dresser le bilan prévoyance d’un client fait partie de son métier d’approche globale d’alerter sur les risques de la vie, cela ayant un impact direct sur le patrimoine (en construction ou déjà bâti). Le conseiller doit travailler sur les approches successorales, voir s’il y aura de quoi payer les droits de mutation, si les revenus seront suffisants pour faire face à un coup dur, etc. S’il n’a pas les solutions, il lui revient d’orienter son client vers un spécialiste de la prévoyance. Bref, gérer un patrimoine, ce n’est pas uniquement faire de la gestion d’actifs et dénicher les meilleurs placements, c’est aussi trouver les solutions pour protéger au mieux la famille et l’entreprise le cas échéant. «Pour le CGP, s’occuper de la prévoyance de ses clients est une preuve de sa valeur ajoutée mais il existe aussi d’autres solutions que des contrats d’assurance, confirme Alexis Teillant. La préconisation d’un mandat de protection future ou d’un mandat à effet posthume est en effet peu rémunératrice, il s’agit pourtant d’outils très intéressants pour traiter la protection du chef d’entreprise et la dévalorisation potentielle de son entreprise suite à un accident de la vie. Notre métier est aussi de faire passer l’intérêt du client avant le nôtre. Pour différentes raisons – du fait que les clients ne se rendent pas forcément compte des conséquences fâcheuses d’un accident de la vie sur la gestion du patrimoine personnel et professionnel, de la nécessité de convenir d’un ou plusieurs rendez-vous avec le notaire pour la mise en place de certaines préconisations, des examens de santé à passer pour accéder à certaines couvertures d’assurance notamment –, nous rencontrons quelquefois des difficultés à avancer sur ces sujets. Mais indéniablement, une fois qu’il a perçu les enjeux, le chef d’entreprise est convaincu, suit nos préconisations, ce qui renforce le lien du CGP avec ses clients sur la durée. Une confiance s’installe alors durablement.»Sous cet angle, la protection du chef d’une petite comme d’une grosse entreprise prend tout son relief. Et s’humanise. Elle reprend aussi sa place centrale pour aborder tout patrimoine. «La prévoyance, c’est le socle de la gestion de patrimoine, conclut Delphine Sibony. Tout professionnel doit en parler à ses clients, plus encore aux dirigeants et cadres d’entreprise. Il est indispensable d’avoir une approche complète des besoins du client, de son actif comme de son passif, avec de la prospective. En somme, la protection patrimoniale est un élément-clé du devoir de conseil pour tout professionnel, et l’intégration des solutions de prévoyance y a pleinement sa place.»

Zoom sur les solutions assurantiellesLe contrat de prévoyance classiqueCette assurance couvre trois risques principaux:le décès, l’invalidité et l’arrêt de travail. En cas de décès, cela se traduit par un capital financier versé au(x) bénéficiaire(s) désigné(s). En cas d’invalidité ou d’arrêt de travail, ce complément d’assurance permettra de maintenir les revenus du dirigeant jusqu’à sa retraite ou le temps de son arrêt de travail. Le but ? Protéger le chef d’entreprise, sa famille et son patrimoine personnel. La fiscalité des capitaux décès est favorable:la cotisation versée par le défunt lors de sa dernière est imposable au taux de 20 %, mais après un abattement de 152 500 € par bénéficiaire. En pratique, aucun impôt n’est jamais dû.

Le contrat personne-clé (ex-homme clé)Il couvre le décès ou l’invalidité d’un homme ou d’une femme-clé de l’entreprise. Cela peut être le dirigeant de l’entreprise, mais également un actionnaire principal, un commercial ou toute personne générant une partie importante du chiffre d’affaires de l’entreprise. Le contrat est souscrit par l’entreprise elle-même et les primes sont déductibles de son chiffre d’affaires. En cas de survenance du risque assuré, la société souscriptrice du contrat perçoit un montant défini à l’avance pour couvrir la perte du chiffre d’affaires liée à la réalisation du risque couvert et le remplacement de la personne.

Le contrat croisé associéIl va permettre de protéger les associés, quel que soit le nombre. En cas de décès et d’invalidité de l’un d’entre eux, un capital sera versé aux autres associés leur permettant, par exemple, de racheter les parts des héritiers de l’associé décédé pour éviter une situation de blocage. En complément du contrat de prévoyance croisé associé, un pacte d’associés sera rédigé pour délimiter les «choses»si la situation se présente. En somme, chaque associé se couvre mutuellement et individuellement au bénéfice du ou des autres associés sans spolier les héritiers. Les cotisations sont payées directement par les associés à titre personnel ou par la société. Dans ce cas, elles sont déductibles du résultat imposable de l’entreprise, mais les associés doivent réintégrer les cotisations sous forme d’avantage en nature dans leur déclaration d’IR.

L’assurance-emprunteurElle est utilisée dans le cadre d’acquisitions immobilières, pour garantir le remboursement du prêt de la banque en cas de décès ou d’invalidité principalement. L’assurance-emprunteur avec clause séquestre permet de garantir l’emprunt réalisé par le chef d’entreprise dans le cadre de son activité professionnelle, mais en optimisant la transmission aux héritiers des titres de la société et des capitaux séquestrés à terme, avec un traitement fiscal plus favorable.

Chefs 03«L’analyse globale des régimes de protection va au-delà de la seule prévoyance»Pierre-Yves Lagarde, ingénieur patrimonial spécialisé dans le conseil aux dirigeants et formateur régulier auprès des experts-comptables, livre ses préconisations.

Investissement Conseils :Quel regard portez-vous sur la protection des chefs d’entreprise ?Pierre-Yves Lagarde : Les enjeux sont gigantesques car les risques sont extrêmes. Paradoxalement, on se couvre beaucoup en France sur les risques à faible intensité et forte fréquence, comme la santé, mais peu sur les risques extrêmes qui ont un pic d’intensité majeur avec une survenance faible. Pour hiérarchiser les grilles de protection, il faut absolument s’appuyer sur un conseil qui aide à bâtir une grille d’analyse, avec un bilan de la structure identifiant les manques, qui va recueillir les souhaits du chef d’entreprise, explorer les solutions, puis accompagner le client auprès des acteurs pour que le conseil dégénère en exécution concrète.

Comment aborder cette problématique ?L’analyse globale des régimes de protection va au-delà de la seule prévoyance. C’est seulement un volet de la question. Trois points doivent toujours être regardés pour analyser la protection du chef d’entreprise. A la base, il faut garantir un revenu en cas d’invalidité pour sécuriser la famille. Ce qui passe par le contrat de prévoyance.Ensuite, il faut impérativement sécuriser la continuité opérationnelle de l’entreprise en cas d’incapacité du dirigeant à exprimer sa volonté. Exemple:j’ai 100 % du mandat social, j’ai un accident grave, que se passe-t-il ? Ce qui juridiquement implique deux questions:qui sera mandataire social à la place du dirigeant hors-jeu ? Ou qui va voter pour lui ? Si rien n’a été anticipé, blocage ! La solution passe donc par des statuts prévoyant cette situation et par un mandat de protection future.Enfin, il faut voir la situation du décès. Il faut impérativement fluidifier la transmission de l’entreprise, notamment au plan fiscal. Ce qui passe par différents outils que sont le pacte Dutreil, le testament, les donations, l’aménagement de la clause bénéficiaire dans les assurances-vie.On ajoutera un quatrième point à analyser, notamment pour les entreprises importantes, leur continuité opérationnelle post-décès. Reviendra-t-elle aux héritiers ? Dans ce cas sauront-ils la gérer ? N’est-il pas préférable de transmettre le pouvoir à un associé ? Le mandat à effet posthume trouve ici toute son utilité.

Chefs 04«Il faut impérativement sécuriser les emprunts professionnels en premier lieu»Jean-Baptiste Omnes, directeur de l’innovation et de marché chez MetLife, décline une approche argumentée de la protection du dirigeant.

Investissement Conseils : Comment abordez-vous chez MetLife le sujet de la protection du chef d’entreprise ?Jean-Baptiste Omnes : Les dirigeants d’entreprise pensent d’abord au risque matériel. Ensuite, ils envisagent la protection de leurs salariés. Et par manque de temps, par refus aussi d’évoquer sa mort ou invalidité, ils placent leur protection au bout de la liste. Or, l’enjeu est primordial et peut se résumer en une question:si vous n’êtes plus là, définitivement ou de manière durable, que se passe-t-il ? Les conséquences pour l’entreprise et pour la famille seront lourdes si rien n’a été prévu. Chez MetLife, nous déclinons cette question sur plusieurs niveaux. Le point de départ, ce sont les engagements de l’entreprise auprès des banques, donc ses dettes. Il faut impérativement sécuriser les emprunts professionnels en premier lieu, ce qui passe par un contrat d’assurance dont la clause bénéficiaire sera soit standard, la banque étant désignée, mais avec une imposition du capital à l’impôt sur les sociétés (IS) de 30 %, soit sous séquestre ou nantie, ce qui permettra de verser le capital aux héritiers si l’emprunt est remboursé, sans IS à régler. Les autres solutions de prévoyance n’ont pas de sens si cette sécurisation de la dette n’a pas été faite au préalable. Ensuite, il s’agit de sécuriser le chiffre d’affaires et la trésorerie de l’entreprise avec un contrat dit “personne-clé”. Un des atouts de MetLife est de garantir des capitaux très élevés, pour permettre à la société de tenir le temps nécessaire afin de surmonter l’absence de son dirigeant. Ce n’est pas tout:il faut sécuriser le fonctionnement de l’entreprise quand il y a plusieurs associés en capital, en cas de décès ou invalidité de l’un d’eux. Si rien n’est prévu, les héritiers auront les parts du défunt, ce qui est potentiellement source de problèmes. Tout ceci s’anticipe par un pacte d’associés prévoyant notamment qui rachètera les parts et en parallèle l’ouverture d’un contrat d’assurance associés garantissant un capital aux associés en cas de décès ou invalidité.

Qu’en est-il de la protection même du dirigeant, de ses revenus, de sa famille ?C’est la suite logique de notre approche. Après avoir sécurisé les dettes, le chiffre d’affaires et la situation des éventuels associés, il faut se pencher sur la personne dirigeante elle-même, en s’interrogeant sur sa rémunération en cas d’invalidité. Ce risque est nettement sous-estimé, alors que ses conséquences financières sont très lourdes. Il est impératif de se couvrir sur cet aléa, notamment pour les entrepreneurs individuels. C’est aussi le cas pour le décès, afin de laisser un capital substantiel à sa famille pour surmonter l’épreuve. Enfin, doit être posée la question des droits de succession au décès. La famille pourra-t-elle les payer ? Pas sûr. Si le patrimoine est élevé, mais sans beaucoup de liquidités, il faudra vendre et vite, au risque d’y perdre beaucoup. Un contrat d’assurance dédié au paiement des droits de succession, mais utilisable librement par le bénéficiaire, sera la réponse adéquate, d’autant qu’il profite d’une fiscalité très favorable.

Cas pratiques : comment sont couverts les indépendants en cas de coup dur ?Soit un artisan gérant majoritaire d’une Sarl, qui tombe en arrêt maladie.Il percevait jusqu’alors un revenu mensuel moyen de 3 800 €. A quelles indemnités journalières de la Sécurité sociale peut-il prétendre ? Son revenu étant pris en compte dans la limite du plafond annuel de la Sécurité sociale (43 992 € bruts en 2023), il aura l’indemnité maximale, qui est de 60,26 € par jour d’arrêt en 2023. A noter:les trois premiers jours de maladie ne sont pas concernés. Et cette somme est soumise aux prélèvements sociaux (6,7 %) et à l’impôt sur le revenu (prélèvement à la source). L’artisan va donc perdre plus de la moitié de son revenu d’activité. Précisons que l’indemnité journalière est égale à 1/730e du revenu d’activité annuel moyen, calculé sur les trois années civiles précédant l’arrêt de travail, ces revenus étant pris en compte dans la limite du plafond de la Sécurité sociale en vigueur au moment du constat médical.

Soit un commerçant gérant d’une EURL qui décède en 2023.Que vont percevoir son épouse et ses deux enfants mineurs de moins de 16 ans ? Le capital-décès versé par la Sécurité sociale à son épouse se montera à 8 798,40 €, c’est le montant pour les indépendants non retraités en 2023 (supérieur du reste à celui versé pour le décès d’un salarié:3 681 €). Viendra s’y ajouter pour les enfants mineurs un capital de 2 199,60 €. Bien que ces sommes ne soient pas imposables ni soumises aux prélèvements sociaux, elles sont nettement insuffisantes pour surmonter financièrement l’épreuve du deuil (charges fixes, dettes, enterrement, etc.). A noter:aucun capital n’est versé automatiquement, il faut en faire la demande au plus dans les deux ans suivant le décès. Cette somme est attribuée quelle que soit la cause du décès.

Soit un infirmier libéral qui se retrouve en situation d’invalidité suite à un accident.Il ne peut alors plus exercer son activité professionnelle. Marié, père de deux enfants mineurs, quelle rente d’invalidité va-t-il percevoir de son régime obligatoire Carpimko (régime des auxiliaires médicaux) ? 20 160 € bruts par an, avec une majoration de 6 048 € par personne à charge. Ce montant est attribué en cas d’invalidité dite totale, c’est-à-dire avec l’incapacité professionnelle à 100 %. Il est indépendant du revenu professionnel de l’infirmier perçu avant son invalidité. Si cette dernière est dite partielle, entraînant une réduction des deux tiers de l’activité, le montant versé est réduit à 10 080 € bruts/an. A noter:la rente d’invalidité de la Carpimko est allouée à compter du premier jour de la quatrième année suivant l’incapacité reconnue. Entretemps, ce sont des allocations journalières d’inaptitude qui auront été versées, à partir du 91e jour d’arrêt jusqu’au dernier jour de la troisième année d’incapacité.