L’immobilier coté en période de volatilité

27/06/2022 - source : Profession CGP

Par Laurent Saint-Aubin, gérant actions, immobilier Europe et gérant du fonds Sofidy Sélection 1

Hausse des taux, retour de l’inflation, ralentissement économique, tensions géopolitiques… L’environnement boursier est chahuté. Mais le secteur de l’immobilier coté apparaît armé pour résister grâce à ses nombreux atouts.

Depuis le début d’année, l’environnement se dégrade peu à peu pour les actions avec, pêle-mêle, la hausse des taux d’intérêt, un niveau d’inflation jamais connu depuis des années et le ralentissement de la croissance économique. Dans un tel contexte, qui se traduit déjà par un surcroît de volatilité sur les marchés actions, le segment de l’immobilier coté dispose d’importants atouts pour surperformer les indices boursiers d’ici la fin de l’année 2022.

Taux d’intérêt

Déjà sensible sur le marché obligataire, la hausse des taux d’intérêt, tirée par le changement de ton de la Fed, puis par son changement de politique, est censée affecter en premier lieu le bilan des foncières cotées.

Mais son effet sera modeste à nos yeux et ce pour trois raisons. Tout d’abord, parce que les foncières entrent dans cette nouvelle période, en apparence plus délicate, en position de force ayant su pleinement profiter de la très longue phase que nous quittons durant laquelle les conditions de financement ont été extrêmement abordables. Ainsi, elles en ont profité pour améliorer cet élément clef qu’est leur bilan, scruté de près par les investisseurs. L’endettement des foncières a été largement allégé depuis la crise de 2008, avec des niveaux de dettes représentant aujourd’hui 36 % de la valeur des actifs, alors qu’ils étaient au-dessus de 50 % en 2008.

Le cas échéant, une foncière sera aussi en mesure de se désendetter en cédant des actifs : on constate en effet que le marché de l’investissement s’est rouvert après la parenthèse Covid et les foncières ont une capacité avérée à vendre des actifs dans de bonnes conditions. Par ailleurs, corollaire de la faiblesse des taux durant la période précédente, le coût de cet endettement a logiquement été abaissé. L’essentiel des dettes des foncières est à taux fixe et elles ont beaucoup travaillé le sujet durant cette période miraculeuse de taux bas, voire négatifs. Les refinancements bancaires, ainsi que les programmes obligataires à taux faibles se sont substitués à des précédentes lignes de crédits ou obligataires à taux plus élevés. Le coût moyen de la dette s’en ressent et a été largement diminué, de même que la durée a été augmentée. Elle ressort aujourd’hui en moyenne à six ans.

Enfin, dernier point concernant la hausse des taux d’intérêt : lorsque ceux des actifs sans risque augmentent comme les taux souverains, on pourrait craindre que cela provoque une baisse de la valeur des actifs réels, toutes choses égales par ailleurs. Mais ce « toutes choses égales par ailleurs » est clairement à relativiser et il faut corriger cet effet primaire négatif par deux éléments : l’inflation, en période de hausse des taux, conduit à une hausse des loyers compensant elle-même cette hausse des taux, et l’effet des flux et de la liquidité. Les investisseurs institutionnels comme les compagnies d’assurance collectent toujours beaucoup auprès de leurs clients et doivent investir ces liquidités sur le marché, ce qui pousse notamment les prix des actifs à faible risque à la hausse, à savoir les immeubles de bureaux prime de centre-ville, les plus grands centres commerciaux ou encore le segment explosif de la logistique du dernier kilomètre.

Inflation

Autre sujet de tension redouté par les investisseurs en actions : l’inflation qui rogne les rendements, voire les anéantit en cas de forte poussée. Là encore, le segment des foncières cotées apparaît relativement bien protégé contre le phénomène. En premier lieu car il existe des mécanismes légaux d’indexation des loyers dans la plupart des pays européens. Ils sont protecteurs car basés sur l’évolution des prix à la consommation ainsi que sur celle des coûts de construction. C’est le cas en France, par exemple : ainsi, l’indice d’évolution des loyers commerciaux dépend à 75 % de l’évolution des prix à la consommation et à 25 % de l’évolution des coûts de construction. Même chose pour l’indice d’évolution des loyers de bureaux. Il s’agit bien d’une hausse qui s’impose aux locataires durant toute la durée du bail.

Et pour ne pas perdre son droit à bail, le locataire doit se plier à cette hausse. Seule exception notable en Europe : le résidentiel en Allemagne où, contrairement à la France, les loyers ne sont pas indexés.

Ralentissement économique

L’inflation évoquée plus haut pourrait bel et bien provoquer un ralentissement de la croissance, d’autant plus si les salaires ne suivent pas. Les entreprises utilisent déjà largement l’inflation pour doper leurs marges en augmentant les prix. Les consommateurs risquent alors de réduire leurs anticipations d’achats, ce qui pèsera inévitablement sur la croissance. La conséquence devrait être un ralentissement économique, sans aller jusqu’à la récession. Dans ce cas, la dégradation de la conjoncture économique ne pénaliserait pas trop l’immobilier coté, secteur défensif par excellence, qui pourrait de nouveau bénéficier d’un tel statut aux yeux des investisseurs. Clairement, le secteur de l’immobilier, relativement peu cyclique grâce au système des baux, apparaît armé pour résister.

Tout d’abord parce qu’une société paie son loyer jusqu’au terme du bail le liant à son propriétaire, quelles que soient la conjoncture et l’ampleur de baisse de son chiffre d’affaires et de ses bénéfices. Hors cas extrême de faillite, évidemment. L’ensemble du secteur est protégé par cette notion de bail, tampon entre l’environnement économique et la santé financière de la foncière. Au-delà du bail, la diversité de l’immobilier coté permet aussi de se prémunir contre un retournement conjoncturel. Ainsi si des biens, comme ceux de bureaux de périphérie, sont relativement cycliques, l’immobilier de logement ne l’est pas du tout.

On peut donc arbitrer au sein du secteur, en accentuant telle ou telle orientation en fonction de la conjoncture économique. En outre, une particularité du secteur réside dans la valeur intrinsèque des actifs, qui n’est jamais nulle. Même dans le pire des scénarios lorsque le propriétaire a fait faillite, il restera toujours la valeur des murs !

Décote

Un autre argument plaide en faveur de l’immobilier coté dans un environnement boursier chahuté. Il s’agit de la persistance du phénomène de décorrélation croissante entre les valorisations des foncières et la valeur de leurs actifs. Elle dure depuis des années et a même tendance à s’accentuer, mais n’est pas pour autant irréversible, loin de là. La reprise des transactions dans le secteur a placé cette question des faibles valorisations sous le feu des projecteurs. Il n’y a pas d’autres segments boursiers affichant une telle décote par rapport à des actifs. Par exemple, les centres commerciaux en Europe sont valorisés avec une décote moyenne de 32 % par rapport à la valeur de leurs actifs mesurée par les experts. Cette même décote ressort à 26 % pour le segment des bureaux et à 30 % sur le résidentiel coté.

Un tel différentiel n’est pas pour autant irrémédiable. Il a d’ailleurs induit une vague d’OPA ces derniers mois, les prédateurs trouvant en Bourse des actifs décotés qu’ils ne dénichaient pas sur le marché physique. On dénombre ainsi six OPA marquantes lors des derniers mois : quatre dans le secteur des bureaux et deux dans le commerce. La dernière en date concerne la société foncière allemande de centres commerciaux Deutsche EuroShop AG, avec une prime proposée de 44 % sur le dernier cours coté. Il est intéressant de relever que l’initiateur de l’offre, un consortium mené par l’actionnaire minoritaire, tout en proposant cette prime, se ménage une décote sur la valeur des actifs… Preuve de l’importance de la décote creusée sur le marché boursier.

Enfin, une caractéristique forte de l’immobilier, à savoir sa capacité à verser des dividendes élevés, pourrait aussi s’avérer cruciale dans la période incertaine qui s’ouvre pour les marchés. La hausse des taux d’intérêt, réduisant la prime de risque en faveur des actions, provoque généralement des arbitrages des investisseurs en faveur des obligations sans risque. Le rendement élevé dégagé par l’immobilier coté lui maintient cependant un statut recherché. Le statut fiscal privilégié de SIIC en France permet le versement de dividendes importants, maintenant un rendement élevé, toujours supérieur à celui d’obligations sans risque. Les foncières, dont le dividende est jugé soutenable, seront privilégiées par les investisseurs, à l’image de Klépierre qui affiche un niveau de rendement supérieur à 7 % bruts, avec un dividende tout à fait soutenable dans le temps.

Rôle du gérant

Evidemment, chaque foncière est unique et si un raisonnement global plaide en faveur du secteur de l’immobilier coté, tout le travail du gérant de fonds consiste à choisir les valeurs de la cote répondant aux problématiques induites par la conjoncture. Le contexte boursier chahuté depuis le début d’année donne d’ailleurs toute sa légitimité à la gestion active. Dans la période actuelle, les foncières proposant une protection par rapport à la dégradation de la conjoncture sont logiquement à privilégier : on peut citer le logement ou les bureaux prime abritant souvent des sièges sociaux d’entreprises ayant les meilleures situations financières. La logistique, segment le plus recherché des foncières est pour sa part segmentée : on sera protégé avec la logistique urbaine de la livraison du dernier kilomètre, mais moins sur les « big box », ces énormes entrepôts multilocataires de périphérie. Les commerces non essentiels, eux non plus, n’affichent pas une grande garantie en période de dégradation conjoncturelle.

Concernant la décote par rapport à la valeur des actifs, là encore, le travail du gérant prend tout son sens, une dichotomie existante entre les foncières de croissance et les autres. Dans la première catégorie, les foncières de santé et de logistique se payent avec une prime sur la valeur des actifs. Ce qui n’est pas le cas sur le résidentiel, les bureaux et le commerce qui affichent d’importants niveaux de décote depuis des années, appelés à se résorber. Si Xavier Niel ne cesse de renforcer sa position au capital d’Unibail Rodamco Westfield, c’est bien pour cette raison… Enfin, les tours Télécom et les data centers, valeurs très recherchées ces dernières années, ont souffert depuis le début 2022, en raison de leur image « techno » et de la hausse des taux.

Au gérant aussi de saisir les bonnes opportunités souvent liées à la qualité des actifs, elle-même fortement dépendante de leur emplacement. La discrimination peut se faire jour lorsqu’un bail arrive à son terme. La notion de rapport de force entre propriétaire et locataire refait surface et la protection anti-inflation du bail ne tient plus. Le propriétaire disposant d’actifs de qualité sera logiquement en position de force pour réviser un loyer à la hausse. Sur le segment des actifs de bureaux par exemple, on constatera, dans la période post-Covid, qu’un emplacement proche de l’Etoile à Paris verra le locataire accepter une hausse de loyers, alors qu’en périphérie parisienne, les locataires réclameront une baisse de loyer et indiqueront vouloir moins de surfaces, en raison de l’institutionnalisation du télétravail. Les bureaux devraient continuer à souffrir d’une organisation plus flexible du travail qui va perdurer pour l’ensemble des populations salariées, entraînant une pression continue sur les loyers et le taux d’occupation.

A l’inverse, la logistique urbaine fait figure d’exception, avec un déséquilibre massif entre offre et demande qui conduit à une accélération des loyers bien au-delà de l’inflation. Les facteurs structurels de hausse de la demande et les contraintes qui pèsent sur l’offre favoriseront cette accélération de la hausse des loyers qui à nos yeux justifient de conserver une exposition forte au secteur. De façon générale, il s’agit aujourd’hui de privilégier les valeurs ayant le potentiel de croissance des bénéfices par action le plus élevé, leur permettant de compenser la persistance d’une inflation élevée et de détenir des foncières qui, pourraient tirer profit de l’écart entre valorisations boursières et niveau des transactions sur les marchés physiques.

Nous demeurons convaincus que l’immobilier coté devrait surperformer les indices généralistes dans les mois à venir en raison d’une sensibilité faible aux composantes travail et coûts des matières premières de l’inflation, des mécanismes d’indexation réglementaires automatiques qui alignent les loyers sur l’évolution des prix et d’une sensibilité instantanée modérée au ralentissement économique.