Location meublée et Dutreil : deux décisions de la Cour de cassation suggèrent son éligibilité potentielle

31/08/2023 - source : Profession CGP

Après la location équipée, la Cour de cassation traite de la location meublée. Mais la prudence reste de mise (Cass. com. du 1er juin 2023 ; Cass. com. du 21 juin 2023). Analyse de Fidnet, la base documentaire du groupe Harvest.

Ce qu’il faut retenir

Si une entreprise individuelle qui exerce une activité de location meublée décide de louer ses meubles et son immeuble à un tiers, qui les sous-loue à son tour à des clients finaux, l’activité individuelle du loueur en meublé se poursuit.

Ainsi, le fait de confier la gestion de l’activité de loueur professionnel en meublés (par bail) à une société ne fait pas obligatoirement disparaître l’activité exercée à titre individuel.

La décision de la Cour de cassation du 21 juin 2023 porte uniquement sur l’exercice (ou non) de l’activité de location meublée au jour d’une transmission. Cependant, le contentieux d’origine concerne l’application du régime Dutreil (art. 787 C du CGI) sur la valeur des meubles et d’un immeuble transmis par décès. L’administration et la Cour d’appel d’origine considéraient que Dutreil ne s’applique pas, car l’activité avait cessé (ou changé) lors du changement de mode d’exploitation.

Ce n’est donc pas l’éligibilité de l’activité qui était mise en cause par l’administration, mais seulement l’exercice même d’une activité depuis au moins deux ans au jour de la transmission. Néanmoins, cette décision laisse envisager l’éligibilité potentielle de la location meublée au régime Dutreil, sans le confirmer expressément.

Cette décision vient en complément de celle de la même Cour du 1er juin 2023, portant sur l’éligibilité potentielle de la location équipée au régime Dutreil. Les activités de locations meublées et équipées étant traitées à l’identique par les textes mis en avant par la Cour, l’éligibilité de l’une est sans doute transposable à l’autre.

Que faut-il en conclure ?

Factuellement, la Cour de cassation ne confirme pas que l’activité de location équipée (ou meublée) est une activité commerciale éligible. Elle ouvre une porte qu’elle ne referme pas. Il faut donc prendre en compte ces deux décisions combinées, pour en tirer des conséquences pratiques et raisonnables.

Conséquences pratiques

Par ces deux décisions combinées, la Cour de cassation semble ouvrir le bénéfice de l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit aux biens qui font l’objet d’une location équipée ou meublée. Toutefois, il faut nuancer cette première approche.

Il faut revenir aux textes pour bien comprendre la problématique qui se pose.

Selon la loi, sont exonérés de droits de mutation, à concurrence de 75 % de leur valeur, les titres d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale OU les biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

Art. 787 B et C du CGI

Le problème est que la loi Dutreil ne précise pas spécifiquement les contours des activités éligibles ou non, au contraire d’autres régimes de faveur. Par exemple, les articles 150-0 B ter (remploi économique suite à un apport cession) ou 199 terdecies-0 A du CGI (réduction d’IR « Madelin »), excluent la location d’immeubles.

Cass. civ., 15 février 1921 gazette du palais p 337

Décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018

Article 35 du CGI, 5e et 5e bis.

C’est donc l’administration fiscale, au moyen du BOFiP mis à jour du 6 avril 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 15) qui a exclu sans ambiguïté la location meublée et équipée du régime Dutreil (après une période de flottement liée à des renvois vers la doctrine ISF : lien). Elle retient ainsi les principes suivants :

- Sont considérées comme activités commerciales les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI, à l’exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier ;

- Sont ainsi exclues […] les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation […] les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation ;

La Cour de cassation du 1er juin 2023, qui traite de la location équipée, semble contredire assez clairement la doctrine administrative actuelle. Sa décision s’appuie sur une logique simple. D’une part, la loi Dutreil prévoit que les titres d’une société ayant une activité commerciale peuvent bénéficier de l’exonération si les conditions en sont réunies ; d’autre part, l’article 35 du CGI prévoit que l’activité de loueur d’établissements équipés est une activité commerciale.

Par conséquent, la transmission de titres d’une société exerçant cette activité est susceptible de bénéficier de l’exonération partielle Dutreil.

Notons que depuis le 1er janvier 2017, l’activité de location meublée a fait son apparition au sein de l’article 35 du CGI, au même titre que la location équipée qui y figurait déjà au moment des faits jugés (2011). Les mêmes causes ayant potentiellement les mêmes effets, si cette logique est validée, alors la location meublée est évidemment concernée.

Les conséquences seraient alors phénoménales. En effet, s’il devient possible de se prévaloir du dispositif Dutreil pour toute activité listée par l’article 35 du CGI, la qualité de loueur professionnel ou non serait indifférente ; la détermination des bénéfices selon les règles des BIC est applicable dans les deux cas. Tout type de location meublée deviendrait donc potentiellement éligible.

Toutefois, des réserves et doutes demeurent.

Premièrement, la Cour de cassation ne valide pas expressément l’éligibilité de l’activité (meublée ou équipée) dans ses deux décisions.

Dans la première espèce (1er juin 2023), elle demande à la Cour d’appel de rechercher si, comme le revendiquait le contribuable, la société n’exerçait pas l’activité commerciale de loueur d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation, susceptible de rendre la transmission des parts de cette société éligible au régime de faveur ; l’activité principale de marchand de biens des sociétés, n’ayant pas été démontrée.

Dans la seconde espèce (21 juin 2023), elle demande à la Cour d’appel de vérifier, comme il lui était demandé, si l’activité individuelle de loueur en meublé n’avait pas été poursuivie en louant ses biens meublés à une société.

Dans les deux cas, la Cour reprend les moyens de cassation avancés par les contribuables, que les Cours d’appel n’ont effectivement pas traités.

Deuxièmement, à supposer que l’activité soit effectivement éligible, il n’est pas pour autant certain que la loi Dutreil s’applique systématiquement.

A titre d’illustration, lorsqu’une société exerce une activité civile autre qu’agricole et libérale, il faut démontrer la « prépondérance d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, laquelle s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».

Cass. civ. 25 janv. 2023 n°20-23.137

Les conditions de l’exploitation peuvent être déterminantes et qualifier ou non l’activité. A titre d’illustration, le conseil d’Etat considère qu’une location en meublés ne peut être regardée comme un « investissement à caractère économique » dans le cadre d’un remploi consécutif à un apport cession (art. 150-0 B du CGI), sauf si elle conduit le loueur à fournir une prestation complète d’hébergement (activité de parahôtellerie) ou si « l’exploitant » en assure directement la gestion avec d’importants moyens matériels et humains.

On voit bien que la problématique est plus complexe que binaire : éligible ou non !

Pour rappel, selon la nature et l’importance des prestations fournies et des moyens mis en œuvre par un loueur, l’activité peut être qualifiée de parahôtellerie (normalement éligible Dutreil).

Troisièmement, l’article 35 du CGI s’applique normalement en matière d’impôt sur le revenu. Locations meublées et équipées sont donc considérées comme commerciales pour cette imposition, avec en plus des nuances sensibles, notamment en matière de plus-values professionnelles ou non selon les cas.

L’extension généralisée de cette « commercialité » aux autres types d’impositions et aux droits d’enregistrement est loin d’être le principe. Par exemple, la définition de la prépondérance immobilière d’une société est très différente selon le type d’impôt concerné.

Avis Fidroit : Que faut-il en conclure ?

Factuellement, la Cour de cassation ne confirme pas que l’activité de location équipée (ou meublée) est une activité commerciale éligible. Elle ouvre une porte qu’elle ne referme pas. Mais on peut en titrer de ces décisions quelques enseignements :

- Lorsqu’une société exerce une activité éligible à titre prépondérant, elle peut bénéficier du régime (même si ce n’est pas celle déclarée lors de la mutation à titre gratuit) ;

- La doctrine de l’administration est contestable, car la loi n’intègre pas les conditions qu’elle pose.

Faut-il se précipiter pour donner des actifs donnés en location meublée avec application de la loi Dutreil ? C’est délicat et engageant pour le conseiller (et le notaire) qui réalise ou préconise cette donation avec une forte probabilité de contentieux ; c’est sans doute moins sensible en cas de succession… Il nous semble que la prudence s’impose. En l’état, les deux décisions de la Cour de cassation ne sécurisent pas suffisamment et spécifiquement ces opérations, compte tenu de leur enjeu.

Attention :

Il est certain que l’application de la loi Dutreil à la location meublée est totalement étrangère à l’objectif poursuivi par le législateur, qui peut se résumer comme suit : « le pacte Dutreil est une mesure destinée à préserver la pérennité des entreprises au moment de leur transmission, qu’elle soit subie (décès) ou choisie (donation) […] L’objectif affiché est donc d’assurer la pérennité du tissu économique français par l’allègement du coût fiscal de la transmission d’entreprise dans un cadre familial. »

Cf. rapport d’information Sénat n° 440 (2016-2017), du 23 février 2017

Personne ne peut affirmer sérieusement, hormis quelques cas spécifiques et rares, que la location meublée sans prestations de services entre dans cette définition. La location meublée n’est généralement qu’un moyen de gérer son propre patrimoine immobilier. En conséquence, si la porte s’ouvre réellement, elle sera rapidement refermée.

Par ailleurs, rappelons que l’article L 64 A du LPF, permet à l’administration d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui « recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé […] ». On s’approche quelque peu de cette situation.

Pour aller plus loin Décision du 1er juin 2023, n°22-15.152

En 2008 puis en 2010, par donation-partage, des parts de trois sociétés ont été transmises à quatre enfants. Les actes notariés mentionnent que les donateurs et donataires demandent à bénéficier du régime de faveur institué à l’article 787 B du CGI (loi Dutreil), avec une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de la valeur transmise pour les parts des sociétés ayant une activité commerciale.

Cependant, l’administration fiscale a remis en cause cette activité commerciale puisque l’activité principale de marchand de biens « revendiquée » lors de la transmission, n’a pas été démontrée par les faits.

L’absence d’activité de marchand de biens a été confirmée par un premier jugement.

En appel, les contribuables ont fait valoir que l’une des sociétés exerçait en fait une activité de location équipée, constituant selon eux une activité commerciale à part entière au sens de l’article 35, I, 5°, du code général des impôts, la rendant éligible au régime de faveur.

La Cour d’appel retient que la proposition de rectification de l’administration est justifiée en tant qu’elle a écarté la qualification d’activité de marchand de biens des sociétés. Elle ajoute que ceux-ci ne se prévalent ni d’une activité commerciale indépendamment de celle de marchand de biens ni d’une activité mixte susceptible d’autoriser l’exonération partielle.

La Cour de cassation remet en cause la décision d’appel au motif que « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date des donations-partage, la société n’exerçait pas l’activité commerciale de loueur d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation, susceptible de rendre la transmission des parts de cette société éligible au régime de faveur de l’article 787 B du même code, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

On constate de la Cour ne l’écarte pas la possibilité d’application de la loi Dutreil. Néanmoins, elle ne confirme pas non plus que la société est éligible…

 

Décision du 21 juin 2023, n°21-18.226

Au décès de leur mère en 2012, deux filles ont hérité d’un chalet donné en location meublée. Dans un premier temps, leur mère louait directement le chalet à des vacanciers. Puis un an avant sa mort, elle a mis en place un bail meublé avec une société tierce qui sous-louait, toujours en meublé, aux vacanciers.

La succession a bénéficié de l’article 757 C du CGI (Dutreil pour EI) sur le chalet et les meubles meublants.

Ici encore, l’administration fiscale a remis en cause l’activité de loueur en meublé professionnelle exercée sous forme d’entreprise individuelle et ainsi le bénéfice de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit.

Ceci a été confirmé par un premier jugement puis par la Cour d’appel. Cependant, la Cour de cassation considère que « […] parce qu’à compter de 2011, leur mère avait confié la gestion de son activité de loueur professionnel en meublés à une société, de sorte qu’à la date de son décès, elle n’exerçait pas d’activité dans l’entreprise individuelle […] En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la mère n’avait pas, à compter de l’année 2011, poursuivi son activité individuelle de loueur en meublé en louant ses biens à la société, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Le litige traité par la Cour porte donc sur l’absence ou le changement d’activité opéré moins de deux ans avant la transmission. Elle ne confirme pas l’application ou non de la loi Dutreil à la location meublée.