Si le pétrole fait vrombir les moteurs de l’économie mondiale, l’eau aide à faire tourner ses turbines. Le volume d’eau utilisé dans les processus industriels est peut-être moins connu que l’importance de « l’or bleu » pour l’agriculture, mais il n’en est pas moins significatif. En début d’année, TSMC, l’un des plus grands fabricants mondiaux de puces électroniques, dont les installations ont subi de plein fouet la sécheresse à Taïwan, a dû se tourner vers l’importation d’eau pour maintenir sa production.1
Un marché en croissance, mais encore largement inexploréL’expédition d’eau à d’autres fins que la mise en bouteille semble être une nouvelle activité. Si le pétrole brut et ses dérivés font partie d’un secteur bien établi qui est peut-être déjà sur le déclin, l’eau et ses variantes (verte, bleue, grise,2 ou toute autre couleur) nous réservent sûrement encore bien des surprises. Par exemple, dans une note de recherche, UBS a signalé que le traitement des eaux de ballast, que les grands navires de marchandises chargent en fond de cale pour leur stabilisation, était l’un des segments les plus porteurs du marché de l’eau.3
Le pétrole brut reste un concept abstrait pour la plupart des gens, sauf pour les professionnels du secteur, mais « l’eau brute » coule chaque jour entre nos doigts, dans nos gorges, et dans nos machines. C’est également pour cette raison que l’investissement dans cette ressource est sujet à controverse. Prélevez une partie de la ressource dans un endroit pour la vendre ailleurs et vous devrez à coup sûr affronter la colère des habitants ou des écologistes. Ce n’est pas pour rien que Nestlé a revendu ses activités dans l’eau en Amérique du Nord au mois de mars dernier.4 On peut également penser aux tensions montantes dans la Corne de l’Afrique, où, en raison de la construction par l’Ethiopie d’un barrage hydroélectrique géant sur le Nil Bleu, l’Egypte et le Soudan craignent de perdre leur accès à une ressource vitale.5
La bonne nouvelle, c’est que d’autres secteurs, comme celui du traitement des eaux usées, suscitent moins de problèmes. Dans un marché mondial de l’eau dont la valeur annuelle avoisine déjà les 600 milliards USD6 , plusieurs poches de valeur élevée existent déjà ou restent à découvrir et les sociétés technologiques spécialisées seront là pour accompagner les explorateurs audacieux dans leur aventure.
La rareté de plus en plus grande de l’eau en raison de la croissance de la population, de l’urbanisation et du changement climatique est l’une des raisons de l’attractivité du marché.
Selon les Nations Unies, 2,3 milliards de personnes vivent dans des pays en situation de stress hydrique, dont 733 millions dans des régions où il est élevé, voire critique. 7 Les enfants comptent parmi les plus affectés par les pénuries d’eau, car ils ont plus vulnérables face à des maladies liées à une eau sale.8 Seulement 3% de toute l’eau de la planète est douce, et les deux tiers de cette eau douce sont enfermés dans les calottes glaciaires.9 L’agriculture est à l’origine de 72% des prélèvements d’eau tandis que les municipalités et l’industrie consomment respectivement 16% et 12% de la ressource, selon les services de l’ONU responsables de l’eau. 10 Les ressources en eau sont généralement menacées par l’augmentation de la pollution. C’est malheureusement aussi le cas pour un lac aussi isolé que le lac Baïkal, en Sibérie, le plus grand réservoir d’eau douce liquide de la planète, dont une partie subit des proliférations d’algues.11 La production d’un kilo de viande de bœuf nécessite quelque 15.000 litres d’eau.12Le manque d’eau, à l’image des problèmes liés au changement climatique, a déclenché toutes les sirènes d’alarme mondiales. L’ONU a intégré l’eau parmi ses objectifs de développement durable (ODD), ses priorités absolues.13 En 2015, 29% de la population mondiale ne disposait pas d’un approvisionnement en eau potable géré en toute sécurité, et 61% n’avaient pas accès à des services d’assainissement gérés en toute sécurité. Pour que ces pourcentages puissent véritablement baisser d’ici à 2030, comme le suggèrent les ODD, il faudra réaliser des investissements massifs dans le domaine des ressources en eau, y compris dans la lutte contre la pollution ainsi que la construction d’infrastructures pour le transport ou le traitement de l’eau. Les initiatives destinées à protéger les ressources en eau de la planète et financées par le secteur privé sont tout aussi importantes.
Aller à contre-courantLes investisseurs qui ne se contentent pas de suivre le courant ont l’avantage de pouvoir repérer les actions liées au secteur de l’eau les plus à même d’inonder leurs portefeuilles de performances attractives. À ce stade, ils pourraient même avoir l’embarras du choix, contrairement à la star portugaise de football Cristiano Ronaldo, qui n’a pas dû hésiter longtemps quand il a choisi les bouteilles à déposer sur la table pour son désormais célèbre échange entre des sodas et de l’eau lors d’une conférence de presse d’après match. Ils pourront peut-être trouver quelques conseils utiles. Veolia, la société spécialisée dans le traitement des déchets, dans la distribution d’eau et la gestion de l’énergie, pourrait ainsi constituer une bonne prise. Ce géant industriel basé en France bénéficie des efforts menés à l’échelle mondiale pour le traitement des eaux usées. On compte de nombreux autres candidats à l’intégration dans les portefeuilles, qui ont des liens plus ou moins évidents avec le traitement de l’eau ou la gestion des eaux usées. Veolia peut être un ajout intéressant pour tout fonds d’actions, mais le titre semble particulièrement convenir à un portefeuille tourné vers l’investissement d’impact.
Par Matthias Fawer, Analyst ESG & Impact Assessment et Thomas Trsan, ESG & Impact Investing Specialist, Senior Investment Manager.
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References
1. « Taiwan’s drought is exposing just how much water chipmakers like TSMC use (and reuse) », Fortune, 12 juin 20212. En agriculture, l’eau verte est l’eau de pluie libérée par la transpiration des plantes, l’eau bleue correspond au volume ajouté par irrigation et l’eau grise représente la ressource polluée par les produits agrochimiques. Voir « Green, blue and grey waters: Minimising the footprint using soil physics ». Brent Clothier, Steve Green et Markus Deurer, 19e Congrès mondial sur la science du sol, Soil Solutions for a Changing World, août 2010, publié sur le site Internet de l’Union internationale de la science du sol www.iuss.org3. https://www.ubs.com/microsites/investing/en/stay-on-course/2016/growth-potential-global-water-market.html4. Voir, par exemple, « The fight to stop Nestlé from taking America’s water to sell in plastic bottles », The Guardian, 29 octobre 20195. « River Nile dam: Why Ethiopia can’t stop it being filled. », BBC News, 8 juillet 2021 https://www.bbc.com/news/world-africa-534329486. https://www.ubs.com/microsites/investing/en/stay-on-course/2016/growth-potential-global-water-market.html7. https://www.unwater.org/water-facts/scarcity/8. https://www.worldvision.com.au/global-water-crisis-facts9. https://www.worldwildlife.org/threats/water-scarcity10. https://www.unwater.org/publications/summary-progress-update-2021-sdg-6-water-and-sanitation-for-all/11. « Vast and Pristine, Russia’s Lake Baikal Is Invaded by Harmful Algae », The New York Times, 14 novembre 201612. https://waterfootprint.org/en/water-footprint/what-is-water-footprint/13. Rapport sur les objectifs de développement durable 2018, objectif 6 : Eau propre et assainissement
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