Vontobel - Mozart, Chopin et les obligations à haut rendement

28/10/2021 - source : Patrimoine 24

L’investissement en obligations à haut rendement comporte de nombreux risques, mais recèle également de multiples opportunités. Comment sélectionner les bonnes obligations au bon moment ? Faut-il opter pour des titres garantis ou non, d’échéance longue ou courte ? Dans ce Point de vue, Stella Ma, gérante de portefeuille, vous révèle selon quels critères elle et ses collègues prennent ces décisions, en illustrant ses propos de quelques références musicales.

stella ma vontobelLorsque j’étais enfant, en Chine, mon père, musicien par trop optimiste quant à mes talents musicaux, m’a fait prendre des cours de piano classique. À sa grande déception, j’ai hérité de la piètre oreille du côté maternel de la famille. Je me rappelle avoir passé d’innombrables heures au piano sous l’œil attentif de mon père. Cela me semblait une éternité et je rêvais secrètement de m’évader pour m’entraîner à devenir le prochain karaté kid.

Des années plus tard, je ne suis pas devenue la concertiste que mon père voyait en moi. Plutôt que de consacrer des heures à travailler mon jeu en prévision de mon prochain récital, j’ai choisi de passer mon temps devant un terminal Bloomberg à l’affût de la prochaine opportunité sur le marché mondial des obligations à haut rendement pour parfaire mes talents de gérante de portefeuille.

Avec le recul, je mesure les bienfaits que m’ont apporté les leçons de piano de ma jeunesse. Elles m’ont non seulement permis de cultiver ma sensibilité artistique – une qualité des plus précieuses –, mais aussi appris la valeur du timing et du tempo, ce qui est un atout inestimable dans le domaine de l’investissement obligataire à haut rendement.

Nous avons coutume d’exploiter les opportunités offertes par ce marché de deux manières :

en mettant à profit les facteurs techniques et les situations de surinvestissement, et

en tirant parti des situations spécifiques sur le marché.

A l’instar des musiciens, qui développent leur sens du tempo et leur conscience de la musique, les gérants de portefeuilles à haut rendement se doivent de posséder eux aussi ces qualités afin de maximiser les opportunités.

Mettre à profit les facteurs techniques et les situations de surinvestissement

Ainsi, nous surpondérions les segments CCC et B du marché et sous-pondérions les titres notés BB en début d’année. Le discours reflationniste qui prévalait alors, conjugué aux valorisations plus attrayantes des segments de qualité inférieure, a favorisé une forte surperformance des obligations CCC et B par rapport leurs homologues BB lors du premier semestre. Un positionnement long sur le segment inférieur, assorti d’une forte sous-pondération des obligations BB, faisait consensus parmi les gérants de portefeuilles à haut rendement.

Pour notre part, nous avons jugé que la sous-performance des titres BB était devenue excessive et ne reflétait pas les fondamentaux stables de ce segment du marché, ce qui, allié à la forte sous-pondération des crédits BB, pouvait jeter les bases d’un vif rebond. Dès lors, en juin et début juillet, nous avons relevé notre exposition au segment BB, en mettant plus particulièrement l’accent sur les titres survendus dont les fondamentaux restaient sains. Ce choix s’est avéré payant car en juillet et août, les obligations BB ont nettement surperformé leurs homologues de moindre qualité.

Pour que ces paris portent leurs fruits, il faut anticiper l’évolution de la courbe et commencer à se positionner avant que les stratégistes sell-side ne commencent à recommander une telle stratégie. Une fois que ces paris sont devenus le « consensus », les niveaux d’entrée sont beaucoup moins intéressants. Partant, le timing et le tempo sont essentiels, comme dans cette pièce pour piano de Mozart , qui doit être jouée à un tempo « Allegro ». Les décisions de rotation sur le marché des obligations à haut rendement doivent être prises rapidement et mises en œuvre tout aussi promptement pour s’assurer de bons niveaux d’entrée.

Tirer parti des situations spécifiques sur le marché des obligations à haut rendement

Les perspectives d’un émetteur de titres à haut rendement ne sont pas toujours claires. Pour sélectionner des investissements, nous prenons soin de cibler non seulement les bons émetteurs, mais aussi les bonnes obligations sur le bon segment de la courbe afin d’accroître nos chances de succès et de réduire le risque de perte si nous avons fait un mauvais choix. Cela s’avère particulièrement pertinent lorsque la situation d’un émetteur est incertaine. Dans ce genre de cas, délaisser totalement cet émetteur ne constitue pas toujours la meilleure option, dès lors que le risque baissier est souvent partiellement intégré au cours de l’obligation, qui peut s’apprécier davantage en cas d’événement positif qu’il ne se déprécierait en cas d’événement négatif.

Carnival Cruise Line (CCL) en a fourni un exemple parfait en 2020. Lorsque la pandémie est apparue en mars, la structure du capital de CCL s’est complètement effondrée. Les obligations senior non garanties en EUR d’échéance 2022 ont chuté de 35%, affichant un prix au comptant de 67 et un rendement de 20%, compte tenu d’une forte probabilité de restructuration de la dette dans les deux ans. Cet accès de panique était compréhensible dans la mesure où les activités de CCL ont subi un coup d’arrêt, sans perspective de redémarrage. Et dans l’intervalle, CCL a dépensé des millions chaque mois pour simplement se maintenir à flot. Au cours des mois suivants, afin de renforcer sa liquidité et de « surmonter la tempête », CCL a émis des obligations garanties sur le segment 3-7 ans de la courbe. Cette émission nous a offert une bonne opportunité d’acheter des obligations non garanties arrivant à échéance avant les nouvelles obligations garanties, sachant que plus l’entreprise émettait d’emprunts échéant après 2022, plus elle serait en mesure de rembourser ses obligations à court terme puisqu’elle s’était « acheté » du temps pour sortir de la crise. Cette émission d’obligations garanties peut toutefois avoir des conséquences négatives sur les obligations non garanties à plus long terme de CCL, car elle réduit la probabilité de remboursement en cas de restructuration de l’ensemble de la dette si les activités ne redémarrent pas.

En l’espèce, il s’agit de décider non seulement s’il y a lieu d’investir dans les obligations CCL, mais aussi sur quel segment de la courbe de crédit (court, moyen ou long terme) et à quel niveau de la structure du capital (obligations garanties de premier rang, de second rang ou non garanties). Pour prendre la bonne décision, il faut suivre attentivement la situation, la réévaluer à la lumière de chaque nouvelle information, qui peut venir étayer ou, au contraire, saper l’argumentaire d’investissement, et être prêt à augmenter ou à réduire le risque en conséquence. Cela donne lieu à d’intenses délibérations, et la musicienne qui est en moi voit cela comme une danse le long de la courbe de crédit de CCL, un peu comme la valse de Chopin en do dièse mineur.

Nous autres gérants d’obligations à haut rendement sommes chanceux : une bonne journée au bureau peut s’apparenter à une place au premier rang pour un concert symphonique. Elle peut ressembler tantôt à un rondo de Mozart, tantôt à une valse de Chopin. Mais nous pouvons aussi être contraints de composer avec les aléas du marché, et il ne s’agit alors plus de suivre à la lettre une partition de musique classique, mais de plonger dans la fosse d’un concert de rock. Une chose est sûre : nous ne nous ennuyons jamais ; nous apprenons chaque jour, aussi bien de nos meilleures prestations que de nos fausses notes.

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