Vontobel - Ne laissez rien traîner sous le rouleau compresseur dans le HR

22/07/2021 - source : Patrimoine 24

Qu’on les aime ou pas, les expressions familières remplissent notre quotidien. Dans ce Point de vue, Jim Stahl, Senior Analyst, exprime son amour du langage simple et son mépris des commentaires de marché jargonnesques. Avec lui, c’est « droit au but » pour un portrait précis du haut rendement américain.

stahl jim« Salut Brian, on a brainstormé tout le week-end sur ce dossier et on revient vers toi pour te pitcher quelques scénarios. Voilà le topo : on aimerait que tu te charges du gros du travail pour celui-là. Tu sais, histoire d’éviter de laisser passer quelque chose entre les mailles du filet. La balle est dans ton camp : checke les chiffres et remets les choses en ordre. Laisse un peu tout ça mijoter avant d’en tirer des conclusions. Cela dit, on n’en est qu’à la mi-course et on doit être sûr d’atteindre l’arrivée. »

Si jamais vous regardez les chaînes de télévision financières, vous avez probablement déjà entendu un gourou des marchés prononcer des phrases de ce genre. Il n’est pas rare qu’en essayant de résumer tous ces discours à leur sens le plus strict, il ne vous reste plus grand-chose sur quoi vous appuyer. Chez Vontobel, nous ne travaillons pas comme ça. Nous nous appuyons sur nos recherches pour identifier les faits les plus tangibles, adopter un point de vue indépendant puis le partager avec nos investisseurs dans un langage simple que vos parents pourraient comprendre. C’est pourquoi, après avoir regardé une émission particulièrement énervante cette semaine, j’ai décidé de traduire quelques-unes des expressions entendues pour rédiger un commentaire de marché honnête et de qualité sur les opportunités qui se présentent sur le marché du haut rendement américain.

« C’est un véritable sac de nœuds »

Le marché du haut rendement américain repose sur des bases solides avec des taux de défaut faibles et des spreads de crédit proches de leur niveau le plus étroit depuis 14 ans. C’est vraiment impressionnant, surtout au regard de la situation dans laquelle nous nous trouvions il y a seulement 15 mois. Aujourd’hui, la principale préoccupation est de savoir combien de temps cela va pouvoir durer et si les investisseurs doivent poursuivre leur quête de rendement compte tenu des risques d’inflation bien documentés, des variants du Covid, et du niveau d’endettement généralement trop élevé pour les entreprises comme les émetteurs souverains. Nous estimons que cette période dorée pour le haut rendement (et le crédit en général) peut se prolonger dans un avenir proche. Nous nous concentrons sur trois piliers : fondamentaux, facteurs techniques et valorisations. Ce sont les valorisations qui présentent le plus de difficultés à l’heure actuelle en raison du niveau de resserrement très prononcé qu’ont atteint les spreads en prévision d’une reprise économique complète. Pour ne pas prendre peur face aux valorisations actuelles, il faut parfaitement comprendre où nous en sommes dans le cycle et pourquoi il est fort possible que cette fois-ci, les choses soient différentes, que le resserrement se poursuive et/ou que nous profitions du portage.

« Alors, tu la lèves cette barre ? »

Les fondamentaux du marché du haut rendement américain sont solides. D’où la métaphore haltérophile popularisée par une vidéo virale sur YouTube. En ce qui concerne le marché, nous devons reconnaître qu’en effet, les niveaux d’endettement sont extrêmement élevés, mais cette situation ne devrait pas durer compte tenu du rebond économique que pratiquement tous les secteurs connaissent actuellement. Les investisseurs parviennent à voir au-delà de cette période de fort endettement, car les sociétés enregistrent une reprise des ventes et disposent de liquidités abondantes pour financer leur activité et d’un fonds de roulement élevé, grâce à l’amélioration des commandes. Les équipes de direction ont pris des mesures agressives pour minimiser l’effet de la pandémie sur leurs entreprises. Ainsi, les sociétés ont pu relativement bien résister à la crise et elles ont adopté de nouvelles mesures de réduction de coûts, qui pourraient, pour certaines, s’avérer permanentes. Les relèvements de notations soutiennent la thèse du renforcement des fondamentaux. Depuis le début de l’année, nous avons enregistré des relèvements pour 359 milliards de dollars US de titres, contre des dégradations pour 160 milliards1. Les fondamentaux, comme en témoignent les indicateurs de crédit, s’améliorent nettement en 2021 puisque les résultats réels commencent à apparaître tandis que les mauvais trimestres de l’an dernier s’effacent peu à peu. Il y a quatre grandes questions à se poser :

Comment ces sociétés et ces secteurs vont-ils se comporter au-delà de 2021 ? L’inflation sera-t-elle plus pérenne et va-t-elle commencer à affecter la demande des consommateurs ? Les marges vont-elles pleinement rebondir ou se dégrader ? Les besoins en fonds de roulement pour reconstituer les stocks des chaînes d’approvisionnement seront-ils si élevés que le désendettement prendra plus longtemps et augmentera les risques ?

Nous pensons que la situation peut encore s’améliorer et que, dans une économie en croissance, cette reprise devrait se poursuivre. La discipline financière affichée par les entreprises soutient également cette opinion, comme en témoignent les faibles investissements cette année, qui devraient suivre la même trajectoire jusqu’en 2022. On note une réelle volonté de maximiser les flux de trésorerie et la réduction de la dette (par ex. dans le secteur de l’énergie).

« Compte tenu du panorama, nous devons trouver le bon équilibre »

Les facteurs techniques constituent le deuxième élément de base de notre boîte à outils de l’investissement en crédit. S’ils ne sont actuellement pas aussi spectaculaires que les fondamentaux, ils sont, dans l’ensemble, sains et bénéficient du soutien des facteurs techniques plus macroéconomiques associés à la politique monétaire accommodante de la Réserve fédérale américaine. La bonne santé du marché primaire constitue un point d’appui non négligeable, comme nous le montre la situation en 2021. Au premier semestre 2021, les nouvelles émissions à haut rendement aux Etats-Unis se sont élevées à 278 milliards de dollars US, soit une hausse de 31% par rapport à la même période de l’an dernier, selon Bank of America Merrill Lynch2. Alors qu’une hausse de l’offre pourrait faire chuter les cours, cela n’a pas été le cas, car une forte demande en provenance d’investisseurs du monde entier a largement répondu à cette offre. En règle générale, une demande élevée réduit le coupon exigé pour la fixation des prix des nouvelles opérations, ce qui soutient encore davantage les cours sur le marché secondaire.

En outre, un marché primaire en bonne santé permet aux émetteurs de refinancer et d’augmenter leur profil d’échéance, ce qui renforce leurs fondamentaux. La chasse aux rendements attire tous les types d’investisseurs, des compagnies d’assurance aux fonds « crossover ». Cela pourrait devenir problématique lorsque ces investisseurs, ou « touristes », décideront de changer de stratégie et de réduire leur exposition au haut rendement. Considérés séparément, les flux de fonds à destination du haut rendement américain ont connu jusqu’à présent une année plutôt mouvementée, les investisseurs luttant contre des risques comme la duration (qui est moins problématique dans le haut rendement que pour les titres investment grade) ou le risque de défaut (allons-nous laisser traîner quelques pièces sous le rouleau compresseur ?). L’effet des flux de fonds est actuellement plus neutre pour le haut rendement américain compte tenu des faibles flux sortants chez les particuliers (approximativement 1,4 milliard de dollars US entre janvier et juin) et de sorties de capitaux plus prononcées de la part des institutionnels (environ 10,3 milliards depuis début janvier)3. Dans l’ensemble, nous considérons que les facteurs techniques sont plutôt équilibrés et que les flux dirigés vers le haut rendement pourraient s’avérer encore plus positifs en l’absence de hausse significative des taux d’intérêt et si la volatilité des spreads reste faible à mesure que les investisseurs recherchent des placements alternatifs aux rendements supérieurs.

« Le diable est dans les détails »

La valorisation est le troisième outil majeur de l’investisseur en crédit. Elle peut être élevée, bon marché ou juste, en fonction des attentes futures, même si de nombreux investisseurs commettent l’erreur de se tourner vers le passé pour justifier leurs points de vue. Les spreads dans le haut rendement, ou la performance supplémentaire par rapport aux taux des bons du Trésor correspondants, se situent aujourd’hui à leurs plus bas niveaux en 14 ans. La réponse évidente consiste simplement à expliquer que le marché est riche, ou onéreux, et que les cours doivent redescendre pour que les rendements augmentent et que les spreads retrouvent un niveau plus en phase avec le risque. Nous pourrions affirmer que les spreads, bien qu’étroits, ne sont pas nécessairement chers et pourraient encore se resserrer à l’avenir.

Les perspectives pour les taux de défaut constituent l’un des meilleurs arguments contre une prétendue trop grande faiblesse des spreads. Les taux de défaut dans le haut rendement ont nettement reculé, étant donné que le grand nombre de défauts enregistré en juin dernier a été sorti du calcul du taux de défaut à l’échéance. De grandes institutions financières ont, encore récemment, revu à la baisse leurs prévisions de taux de défaut pour tenir compte de cette amélioration dans l’univers du crédit. Selon JPMorgan, le taux de défaut des émetteurs de haut rendement américains (y compris « distressed ») à la fin du mois de juin 2021 s’élevait à 1,87%. Avec l’amélioration des fondamentaux, il devrait descendre jusqu’à 0,65% pour 2021 (contre des prévisions précédentes de 2,0%). D’autres analyses tablent sur un nouveau resserrement des spreads, car elles ajustent les spreads historiques du haut rendement au regard de la duration et de la répartition des taux observées actuellement. Elles laissent ainsi entendre que, par rapport aux niveaux enregistrés aujourd’hui, les records d’étroitesse observés précédemment étaient bien inférieurs, avec environ 200 points de base atteints en 1997, 2005 et 2007. Dans l’ensemble, nous considérons que les spreads peuvent encore se resserrer même si la compression du mois de juin a bel et bien effacé une partie de ces bonnes affaires.

« Il est temps pour nous de refermer cette fenêtre pour vous libérer de la bande passante »

En guise de conclusion, nous tenons à vous expliquer que le reste de l’année s’annonce positif pour les revenus de portage sur le marché du haut rendement américain. Les fondamentaux s’améliorent et ce mouvement devrait se poursuivre jusqu’à l’année prochaine. Les facteurs techniques restent favorables (ou tout au moins non préjudiciables). Les valorisations ne sont pas bon marché, mais elles pourraient encore grimper, en s’appuyant sur les faibles taux de défaut et sur une qualité globalement plus élevée que lors des cycles précédents. Comme toujours, nous privilégions avant tout la sélection des crédits. En d’autres termes, « que vous suiviez le mouvement ou que vous décidiez d’appuyer sur le frein, faites en sorte de continuer jusqu’au drapeau à damier afin que l’on soit tous sur la même longueur d’onde ! »

Jim Stahl, Credit Analyst

1. JP Morgan, High Yield Bond and Leverage Loan Monitor, 1 July 20212. Bank of America Merrill Lynch, Daily High Yield Strategy email, 2 July 20213. Bank of America Merrill Lynch, Daily High Yield Strategy email, 2 July 2021

 

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